
La Lithotomie ou La cure de la folie (Jérôme Bosch, 1494)
Il existe un débat latent, insidieux, qui émerge cycliquement, de temps à autre, pour s’enflammer sur les forums, avant de disparaître de nouveau dans une forme de status quo ou de tabou. Un débat qui clive et crispe les opinions de beaucoup d’initiés tout en faisant, en même temps, hausser le sourcil de tout observateur extérieur.
Un débat de mots.
Plus précisément, un débat relatif à l’appellation d’un métier. S’il peut sembler anecdotique à certains, force est de constater qu’on ne peut l’éviter. Ou plutôt, on ne peut éviter le choix auquel mène ce débat.
De plus, celui-là n’est en rien limité au seul domaine de la neuropsychologie, les gérontopsychologues, les psychologues psychopathologues, les psychologues du travail, tous doivent à un moment donné se doter d’une désignation, ne serait-ce que pour se présenter à un client ou imprimer sa carte de visite (en évitant le questionnement philosophico-analytique du lien entre le réel et le nommé).
Pour les professionnels avec une formation en neuropsychologie, il existe plusieurs manières de se désigner. On peut en trouver trois principales : neuropsychologue, psychologue spécialisé en neuropsychologie et psychologue-neuropsychologue. Sont-elles différentes ? Non, elles correspondent à la même formation. Alors, pourquoi ces différences ? Pour des raisons théoriques et pratiques que nous allons détailler ci-dessous.
Plutôt que de me perdre dans une discussion autour de ces appellations, je vous propose de plonger dans le vif du sujet. Je vais présenter les différentes propositions unes par unes. J’opposerai les éléments pour et les éléments contre, et ce aussi bien d’un point de vue esthétique, théorique et pratique. Au lecteur de juger du poids, de l’importance et du bien-fondé de chacun de ces arguments.
Gardez en tête que, malgré ma volonté consciente d’impartialité, je ne suis évidemment pas neutre dans cette histoire, ayant moi même dû faire mon choix. Cependant, cet article n’a pas pour but de convaincre ou de faire changer les mentalités, simplement d’exposer et d’expliciter un débat important qui existe au sein de notre profession. L’idéal étant, au bout du compte, d’adopter le même positionnement, bien que je craigne que cette union ne devienne de plus en plus compliquée (mais ceci est un autre débat).
Sans plus attendre, commençons par la proposition numéro 1 :
1. Psychologue
Tout simplement. En effet, pourquoi s’embêter à préciser « psychologue quoi » alors que nous avons tous le même statut légal. Pour rappel, la psychologie, née de la psychophysique (et non pas de la philosophie de l’esprit ou de la médecine) est d’abord expérimentale. C’est au début du XXème siècle, lors de l’adaptation de certaines découvertes (conditionnement, renforcement, apprentissage, habituation…) à des pathologies psychiatriques, que naît le volet « clinique » de la psychologie scientifique (bien que la neuropsychologie « neurologique » ait des racines antérieures). Ensuite, celle-ci prend son essor dans un grand nombre de champs ou de domaines, chaque branche se développant et se complexifiant au point d’en arriver à un problème épistémologique majeur : on ne peut à la fois tout connaitre (c’est à dire maîtriser toutes les connaissances produites) dans chaque branche ; en psychologie cognitive, clinique, du travail, du développement, etc.
Le corollaire est donc la nécessité d’une spécialisation.
Aujourd’hui, cette spécialisation est la clé de voûte de la psychologie. Être psychologue « généraliste » n’a pas de sens (à même titre qu’un historien mayaniste (spécialisé dans la civilisation maya), bien qu’historien, est avant tout expert d’une époque précise et aura peu de chose à dire sur le romantisme bavarois). En psychologie, le vice est encore plus poussé : Car au-delà du domaine d’étude qui diffère, ce sont également les méthodes et techniques d’investigations, les champs d’application et les modèles théoriques sous-jacents qui changent, au point que deux psychologues de spécialisations différentes n’auront finalement que très peu de choses en commun. Pour prendre un exemple concret, un neuropsychologue s’entendra mieux (au sens théorique) avec un orthophoniste ou un neurologue, qu’avec un psychologue du travail, qui lui-même s’entendra mieux avec un DRH, un manager ou un ergonome.
Néanmoins, cela ne serait pas un frein total à une appellation généralisante s’il n’y avait pas une particularité supplémentaire de la psychologie. En effet, pour un biologiste, qu’il soit biologiste moléculaire ou autre, l’appellation aspécifique est moins dérangeante que pour le psychologue. Pourquoi ? Car le psychologue peut avoir une responsabilité directe envers le public, par le biais du soin. C’est là que la spécialisation devient importante. On ne va pas, selon la nature de sa souffrance, consulter chez le même psychologue. Un psychologue de l’enfant, un gérontopsychologue, un neuropsychologue n’ont pas le même domaine d’action et ne sont pas interchangeables. Je n’emmènerai pas un bambin consulter un gérontopsychologue et un pépé consulter un psychologue scolaire. De fait, quelqu’un qui se dit « psychologue tout court », qui reçoit aussi bien des patients cérébrolésés pour faire de la remédiation cognitive que des parents pour de la guidance parentale, que des personnes saines en leur proposant une psychanalyse tout en étant, en plus, consultant dans une entreprise pour « gestion des risques psychosociaux » est, au mieux, un usurpateur dispersé, au pire, un charlatan.
En résumé, si être psychologue correspond à une réalité légale (contrairement aux variantes suivantes, « psychologue » est le seul titre protégé par la loi), il ne reflète en rien la réalité pratique. La spécialisation est devenue par essence obligatoire pour le psychologue, et la faire apparaître explicitement semble être une question de professionnalisme et de respect envers le public et les patients.
2. Psychologue de la neuropsychologie
Psychologue de l’enfant, du travail, psychologue du développement… cela semble marcher plutôt bien. Alors, pourquoi pas psychologue de la neuropsychologie ? Déjà, il faut avouer que cela sonne un peu bizarre. Qu’à cela ne tienne, ce n’est peut-être qu’une question d’habitude : inspectons donc le fond.
Il est à noter que dans les cas où ça marche (psychologue du travail, de l’enfant, du développement…), la spécialisation ajoutée en suffixe correspond en fait à un objet d’étude. Or il s’avère que la neuropsychologie (au même titre que d’autres spécialisations), n’en est pas un. La neuropsychologie a en effet elle-même un objet d’étude propre (la relation entre le cerveau et la cognition). Épistémologiquement, on peut même dire qu’elle remplit les conditions d’une science autonome (qui possède, en plus d’un objet d’étude, des méthodes, techniques et théories qui lui sont propre). Ainsi, on fait de la neuropsychologie, alors qu’on ne fait pas « du travail », « du développement » ou pire, « de l’enfant ».
Ainsi, pour des raisons sémiologiques, psychologue de la neuropsychologie ne semble pas adapté. Passons-donc en revue les candidats sérieux, les poids lourds du ring.
3. Psychologue spécialisé en neuropsychologie
Avec « neuropsychologue », c’est l’appellation plébiscitée par la majorité des praticiens (ARNPN, 2010). Après de longues discussions, il ressort que les tenants de cette appellation mentionnent, au premier plan, deux éléments : 1) Cela souligne que nous sommes « psychologues avant-tout » et 2) C’est le titre « réel ».
Concernant le premier point, « nous sommes psychologues avant tout », il renvoie en fait à une tradition ou une peur latente dans la profession. Celle d’être réduit à des testeurs. En effet, dans beaucoup d’autres pays du monde, il existe le métier de psychotechnicien, spécialisé en psychométrie (la mesure précise des facultés mentales), dont le but est d’administrer correctement les épreuves neuropsychologiques. Dans ce cadre, le neuropsychologue a plutôt pour mission de les choisir, d’en interpréter les résultats et de les intégrer dans une histoire de vie et un cursus de soin. En France, une importante part du travail de neuropsychologue clinicien est l’administration des tests. Dans certains secteurs, c’est même la quasi-totalité ! Les bilans s’enchaînent et se ressemblent, sans laisser le temps à l’échange, la réflexion et la rédaction de compte rendu. Pire encore, le neuropsychologue évolue parfois entièrement sous la directive d’un chef auto-déclaré, qui demande à l’avance les tests à effectuer. Dans ces conditions, le métier est fortement amputé de sa richesse, et il va sans dire que le psychologue n’a son mot à dire ni sur l’interprétation, ni sur le diagnostic, ni sur quoi que ce soit. Ainsi donc, nombre de mes confrères sont imprégnés de cette peur légitime d’être réduit à de « simples » (un aspect en réalité loin d’être simple ou anecdotique) testeurs. De fait, par abréaction, ils placent le « psychologue » de « neuropsychologue » au premier plan, « psychologue » jouissant d’une image moins rigide, où l’importance de l’entretien, de l’écoute et du soin apparaît comme évidente.
(Cette inquiétude de réduction ne m’est pas étrangère non plus : les personnes me connaissant noterons comment j’insiste pour parler d’examen neuropsychologique plutôt que de bilan (désignation que je trouve, pour le coup, véritablement réductrice)… À chacun sa bataille.)
Cependant, si cette justification est compréhensible, elle est erronée d’un point de vue logique. En effet, n’en déplaise à certains, nous ne sommes pas psychologues « avant-tout ». C’est une histoire de « classe emboîtante« , pour reprendre des termes de psychologie du développement. C’est à dire que psychologue est une classe hiérarchiquement supérieure à neuropsychologue, qui « emboîte » (inclue) la neuropsychologie au même titre que d’autres spécialités. En d’autres termes, la psychologie est une grosse boite dans laquelle se trouve la neuropsychologie, qui est une boite plus petite. Ainsi, d’un point de vue logique, nous sommes neuropsychologues avant d’être psychologues, psychologues avant d’être scientifiques, scientifiques avant d’être diplômés etc. (On pourrait remonter ainsi jusqu’à « humain avant d’être vivant » et au-delà). Ceci correspond en plus à une réalité pratique : un neuropsychologue sera plus à l’aise pour échanger avec un autre de ses confrères qu’avec un psychologue du travail, vis-à-vis duquel il a moins de choses en commun. Nous sommes neuropsychologues avant tout, ce qui n’empêche pas d’être psychologue, scientifique, citoyen, humain, vivant et amas de poussière d’étoile tout autant.
Le second point devient donc, pour moi, le seul argument fort, car il est indiscutablement vrai. Le seul titre protégé d’un point de vue légal est « psychologue », mais le titre affiché sur le diplôme est (pour faire court) psychologue spécialité neuropsychologie. Du point de vue légal donc, il est plus juste d’être « psychologue spécialisé en neuropsychologie » que tout le reste. Bien entendu, on pourrait faire la critique de la redondance, de la longueur et de la lourdeur de l’appellation, qui n’est sans doute pas la plus esthétique. Mais beaucoup n’ont cure de l’élégance, et à ceux-là on pourrait éventuellement retourner l’argument légal. « Mais le titre officiel n’est pas psychologue spécialisé en neuropsychologie, mais (par exemple) MASTER SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES Mention Psychologie spécialité Neuropsychologie ». Pourquoi, dans ce cas, nous limiter à la fin du titre officiel ?
Néanmoins, par souci d’honnêteté intellectuelle, il faut avouer que les contre-arguments au point légal demeurent faibles et font surtout appel à une question de goût personnel. Ainsi donc, devant les limites d’une opposition frontale, discutons plutôt le second challenger.
4. Neuropsychologue
Vous l’aurez compris, c’est l’appellation que je soutiens. En plus d’être sobre, concise, claire, explicite et élégante, elle incorpore tous les éléments importants susmentionnés. Elle contient le « psychologue » si cher à certains et le « neuro- » si cher à d’autres. De plus, elle présente un avantage par rapport aux autres variantes : elle ancre le neuropsychologue comme l’expert n°1 de son domaine. En effet, le neuropsychologue est intuitivement compris comme « celui qui fait de la neuropsychologie ». Dans les cas précédents, la neuropsychologie ne devient finalement qu’un domaine dans lequel tout le monde, y compris des non-psychologues, pourraient potentiellement se spécialiser. C’est la porte ouverte aux orthophonistes « spécialisés en neuropsychologie« , neurologues « spécialisés en neuropsychologie » et autres. Le lien entre la neuropsychologie et ses praticiens est fragilisé dans les autres appellations et pourrait participer aux difficultés de la profession, notamment d’un point de vue de la reconnaissance et de l’emploi. « J’ai besoin de quelqu’un qui fasse de la neuropsychologie dans mon service. Pourquoi prendre un psychologue, alors qu’il y a un orthophoniste, un biologiste neuroscientifique ou un psychiatre qui se réclament eux-aussi de ce domaine ?« . Je soutiens donc cette appellation par-delà ces qualités théoriques, pratiques et acoustiques : comme un élément de défense de notre profession.
Quant à l’éventuel argument de « ce n’est pas un titre existant légalement« , certes, c’est un fait. Maintenant, est-ce grave ? A part « psychologue », aucune des appellations n’est totalement juste aux yeux de la loi (loi qui a déjà changé et qui changera encore cela dit en passant). « Neuropsychologue » est-il pire que les autres ? Entraîne-t-il plus de confusion ? Je ne pense pas. Au contraire, il apporte de la clarté pour le public et les patients. Il place au premier plan l’aspect scientifique du métier, pouvant être questionné chez le « psychologue » par les personnes hors-domaine (combien de fois ai-je entendu « la psychologie, moi j’y crois pas » ou « les psychologues c’est des esbroufeurs« ). Et, encore une fois, se présenter comme neuropsychologue ne diminue en rien moins notre valeur de psychologue. Il souligne au contraire nos points communs, notre formation et notre expertise. Se rassembler derrière notre métier commence peut-être par le dénommer comme tel.
5. Psychologue-Neuropsychologue
Pour finir, une proposition étrange, hybride et chimérique. Potentiellement la pire car elle suggère une distinction gravement erronée. En plus d’admettre l’existence du « neuropsychologue » (et donc d’inclure tous les défauts qui se rattacheraient au point précédent), il l’oppose au « psychologue ». Ainsi, le « psychologue » serait différent du « neuropsychologue ». Sans compter en plus le manque d’élégance acoustique lié à l’affreuse redondance, il devient difficile de voir des arguments en faveur de cette tautologie. Peut-être peut-on y voir la volonté implicite de ne pas totalement trancher entre « je suis avant tout psychologue » et « je suis aussi neuropsychologue » …
QUID des spécialisations en neuropsychologie ?
Logique d’un point de vue épistémologique, la continuelle évolution de chaque domaine produit de plus en plus d’embranchements. L’époque où l’on pouvait être mathématicien, astronome, philosophe et rhétoricien (comme certains philosophes de la Grèce antique) est révolue. Les génies multi-domaines sont morts avec Leonardo Da Vinci, Descartes et Wagner. Aujourd’hui, on se grandit dans une spécialisation du savoir ou de la technique, et rares sont ceux dont la vision éclaire d’autres chemins.
Ainsi, même le neuropsychologue devient spécialisé. En neurologie adulte, en épilepsie de l’enfant, en gérontologie neurodégénérative, en remédiation cognitive… Bien que les multi-spécialisations soient encore tout à fait possibles, il faut aussi savoir reconnaître ses limites. Par exemple, étant à titre personnel spécialisé en psychiatrie et neurologie d’une population adulte et âgée, il serait malavisé pour moi de proposer une prise en charge d’un enfant sans formation pratique supplémentaire. Et ceci bien que tout diplômé d’un master de neuropsychologie générale possède, dans l’absolu, les connaissances théoriques pour : C’est également une question d’éthique personnelle.
On comprend donc, pour des questions de transparence vis-à-vis des patients et du public, que cette « sous-spécialisation » peut avoir son importance. Si vous êtes atteint de sclérose en plaque, j’aurais tendance à vous adresser plutôt vers un neuropsychologue expert de ce trouble plutôt que vers un neuropsychologue spécialisé dans les troubles neurovisuels.
De fait, il n’est peut-être pas absurde de considérer la mention explicite de la sous-spécialisation. Notez que cela devient un argument en faveur de l’appellation « neuropsychologue » (quelle coïncidence…). En effet, si « neuropsychologue spécialisé en neurologie de l’adulte« , bien qu’un peu lourd, fait sens, « psychologue spécialisé en neuropsychologie spécialisé en neurologie de l’adulte » apparaît comme en deçà en terme de clarté. A minima du moins, il semble utile de préciser si l’on travaille avec des patients (neuropsychologue clinicien), beaucoup de neuropsychologues faisant, à un moment de leur vie, autre chose (entreprise, recherche…).
En conclusion, cet article n’a, encore une fois, pas pour vocation de faire changer les esprits. Ni de froisser mes confrères qui ne partagent pas mon choix (et ils sont nombreux). Simplement d’exposer une base d’arguments sur lesquelles nous pourront construire un débat fructueux pour avancer ensemble vers la réconciliation et le renforcement de notre beau métier.
Je suis neuropsychologue à l’hôpital et je suis heureux de lire votre article. Je ne crois pas qu’il existe de tels débats ailleurs… dans les pays où pourtant les neuropsychologues lisent les mêmes revues scientifiques que nous. si c’est une question de titre légal pourquoi ne pas le rendre tout simplement légal. C’est le cas au Canada… le Canada est-il pire que la France ? Je ne crois pas non, je dirais même qu’en la matière, il n’y a pas photo, c’est le contraire.
Je suis étonné de voir ce genre de controverses complètement idiotes alors qu’on n’est même pas capable de prendre correctement en charge les autistes dans ce pays ni même les enfants souffrant de la plus petite atypie de développement. Les patients savent exactement qui ils veulent voir et surtout qui ils ne veulent plus voir.
Je suis dans une certaine mesure « un testeur », et je crois même que je suis un très bon testeur, car je sais faire le lien entre les résultats que j’obtiens et ce que la « science » décrit lorsqu’elle parle du cerveau et de la cognition, de la perception sociale, des émotions etc. etc. en vérité, dans l’hôpital où je travaille, nous les 4 neuropsychologues nous sommes les seuls à toujours argumenter à partir à la fois de données valides scientifiquement et d’observation outillées. Je peux affirmer que cela fait une différence très claire entre les neuropsychologues et les autres (psychiatres inclus malheureusement).
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Merci d’avoir partagé vos réflexions sur le sujet! Je suis également de votre avis, « neuropsychologue » me parait être l’appellation la plus pertinente pour les raisons que vous avez évoquées. Une raison qui me parait cruciale et à laquelle j’avais déjà réfléchi concerne l’appropriation de la neuropsychologie par les collègues médecins ou rééducateurs. Pour expliquer mon point de vue je donne l’exemple de la psychiatrie : le psychiatre est l’expert (médecin) attitré de la psychiatrie bien que d’autres professionnels (comme les infirmiers) puissent être spécialisés dans ce domaine (ils le sont alors sous l’angle de leur métier). Je vois les choses de la même façon en neuropsychologie : le neuropsychologue est l’expert (psychologue) de ce domaine, ce qui n’empêche pas que des orthophonistes ou médecin soient spécialisés en neuropsychologie. Je fais d’ailleurs souvent remarquer que ce qui est désigné par neuropsychologie ne l’est pas forcément, car souvent nos collègues orthophonistes ou autres se limitent à la neuro-cognition. Or, la neuropsychologie englobe toute la psychologie (tous les comportements, pas uniquement cognitifs). Se présenter en tant que neuropsychologue représente donc pour moi l’occasion d’affirmer l’appartenance de la neuropsychologie à la psychologie et de la nécessaire complexité de son objet d’étude qui, s’il favorise l’exploration du fonctionnement cognitif, ne s’y limite pas.
Article très intéressant, merci !
En 2010, l’ARNPN (association pour la rassemblement des psychologues spécialisés en neuropsychologie) avait questionné les professionnels là dessus.
Sur 358 réponses, 84 % étaient favorables à ce qu’il y ait un consensus sur la dénomination de notre profession.
– 62 % étaient favorables à « psychologue spécialisé en neuropsychologie »
– 60 % à « psychologue-neuropsychologue »
– 54 % pour « psychologue » tout court
– 44 % pour « neuropsychologue
Et quand on leur demandait comment ils signaient actuellement :
– 33 % « psychologue-neuropsychologue »
– 30 % « neuropsychologue ».
Voici le lien vers les résultats de l’enquête : http://arnpn.fr/doc/PDF/Analyse_Questionnaire.ARNPN.pdf
Avec le développement de la neuropsychologie et l’augmentation du nombre de diplômés dans cette spécialité, je me demande si ces tendances ont évolué depuis 2010. Ce serait intéressant de sonder de nouveau la profession là dessus.
Intéressant.
Le risque est qu’une orthophoniste comme moi qui aime particulièrement son travail surtout sur les fonctions cognitives ne puisse plus rééduquer l’attention la mémoire de travail ou les fonctions exécutives parce que certains neuropsychologue (pas tous bien sur ) considéreront qu’ils sont les plus à même. Ca peut arriver
Il est indéniable que l’orthophonie occupe une place privilégiée dans la prise en charge des troubles neurocognitifs. Cependant, ce que les psychologues (dont les neuropsy) regrettent est que la neurocognition et neuropsychologie soient souvent confondus. La neuropsychologie ne se réduisant pas à la neurocognition le fait pour certains professionnels non psychologues de se présenter comme experts en neuropsychologie alors qu’ils le sont plutôt en neurocognition est délétère pour la prise en charge des patients et la reconnaissance de la spécificité de la fonction de psychologue.
Concernant la prise en charge des patients cela peut être dommageable car cela renvoie une vision parcellaire, « éclatée », du fonctionnement psychologique. Comme s’il était possible de considérer le fonctionnement cérébral (neurocognitif) indépendamment des cognitions-pensées, des processus émotionnels, des modes relationnels, des caractéristiques de personnalité…etc.
Concernant la profession, malheureusement cela conduit les institutions à contraindre les neuropsychologues à être des évaluateurs des troubles neurocognitifs, quand il pourrait être des cliniciens aptes à évaluer les troubles psychologiques neurocognitifs, émotionnel et comportementaux induits par un dysfonctionnement cérébral, et de coordonner leur prises en charge.
Concrètement, il me semble important qu’une personne susceptible de présenter des troubles neuropsychologiques puisse dans un premier temps bénéficier d’une évaluation neuropsychologique réalisée par un neuropsychologue. Pas seulement une évaluation neurocognitive, mais un examen complet adapté bien sûr à la problématique du patient. Sur la base de cette évaluation, des évaluations plus poussées dans certains domaines peuvent être réalisées, dont l’évaluation orthophonique (je parle bien de ce qui a trait à la neurocognition et non les autres champs de compétence de l’orthophoniste).
La prise en charge des troubles neuropsychologiques peut très bien être réalisée par des orthophonistes, ergothérapeutes..etc mais étant coordonnées par un neuropsychologue. Ceci n’étant pas pour hiérarchiser les professions, mais pour d’une part reconnaitre l’expertise du psychologue pour l’évaluation et la prise en charge des troubles neuropsychologiques, et d’autre part permettre une prise en charge cohérente et adaptées aux ressources psychologiques des patients.
Je précise que je ne cherche pas à minimiser le rôles des autres professionnels, bien au contraire, notamment l’orthophoniste est un professionnel très précieux. Il s’agit simplement de reconnaitre les expertises et fonctions de chacun pour une prise en charge optimal de nos patients.
Bonsoir,
Je viens de lire votre article et je l’ai trouvé très intéressant. Je comprends d’ailleurs tout à fait le choix de dire « neuropsychologue » au lieu des autres appellations.
Cependant, j’avais cru comprendre que le terme « psychologue-neuropsychologue » était davantage une façon de montrer notre attachement à la psychologie. En tout cas, c’est ce que j’ai cru comprendre des enseignants chercheurs et/ou neuropsychologues en licence.
Je ne vais certainement pas vous apprendre grand chose mais, avec le manque de clarté du terme « clinicien », beaucoup de neuropsys, pour éviter des débats inutiles, revendiquent tout d’abord la base commune de leur métier, à savoir psychologue.
Après, il est aussi possible qu’ils revendiquent cette appellation pour éviter les dérives que vous citez plus haut, à savoir faire des bilans à la pelle, ne pas pouvoir faire des suivis réguliers, etc.
Mais c’est vrai que cela devient un poil redondant au niveau des formulations.
Dans tous les cas, je vous remercie encore pour la richesse de votre article, il montre bien, à la fois les difficultés des appellations autour des « psys » ainsi que le contenu de plus en plus large et précis des approches théorico-pratiques.
Cordialement,
PPS