Pourquoi Ross Geller, le paléontologue de la série américaine Friends, est-il couramment appelé Dr. Geller par ses supérieurs, ses collègues ou ses étudiants ?
Que se cache-t-il derrière ces titres ?
Pour comprendre, il faut remonter dans l’histoire de l’Homme, à l’époque ou la société était divisée en castes, à l’instar des nobles, du clergé et de ces pauvres gueux dont je fais partie. Les premiers se différenciaient du simple badaud de par leur statut social, leurs privilèges et leurs droits devant la loi. Ils possédaient un titre, précédant leur nom, qui symbolisait la primauté et l’importance du-dit titre. Dans la noblesse, « Sa majesté Intel » (avec des variations telles que « Sa royale majesté » en fonction de la place hiérarchique), dans le clergé, « père Intel » (Monseigneur étant au moyen-âge réservé à l’évêque de Paris) and so on… Notons que si « père » est un titre qui existe toujours, les autres sont devenus moins courant en France (Robespierre et consorts y sont sans-doute pour quelque chose…).
Pourtant, des lors que l’on parle des princes, rois, et autre membres de la famille royale des paradis fisc-, pardon, pays avoisinants, il est courant de voir leurs noms précédés des lettres HRH. Quel est le sens de ces obscures initiales? Il signifie His/Her Royal Highness, et témoigne de leur statut.
Ces titres peuvent renvoyer à différents domaines: la noblesse, comme on l’a vu, mais aussi l’armée, la loi où l’enseignement. C’est avant tout un vecteur d’acquis de différentes formes, et il convient d’en distinguer la civilité, à forme binaire (Monsieur ou Madame).
Dans l’armée et la loi
Dans l’armée, les titres correspondent plus ou moins aux grades : on ne dira donc pas Monsieur Moutarde, mais Colonel Moutarde, le titre se substituant à la civilité, et ainsi de suite pour le lieutenant Dan du film Forest Gump.
Dans le domaine de la loi, le reliquat principal est « maître » (abrévié Me) et s’applique à certaines professions (notaires, avocats, huissiers…). Ces juristes perdent le titre de civilité commun (Monsieur, Madame) tout au long de leur exercice, exception faite quant ils sont eux-même devant les tribunaux ou lorsqu’ils ne comparaissent pas dans l’exercice de leur fonction. A ne pas confondre, donc, avec l’appellation commune « maître » de l’enseignant des écoles primaire, qui est plus couramment appelé « professeur ». Pourtant, ces profs là ne sont pas vraiment profs…
Voilà qui nous amène donc à l’enseignement et la recherche.
Le Docteur (Dr.)
Docteur ne correspond pas un métier ou une profession.
Il s’agit d’un titre, provenant du latin docēre (enseigner), qui correspond au plus haut grade (diplôme) académique international ; le doctorat.
Ce titre universitaire s’acquiert par la réalisation d’études supérieures (un master) suivi de l’écriture d’une thèse de doctorat et de sa défense devant un jury d’experts. Cette thèse discute les découvertes du chercheur dans un domaine donné, et témoigne de son expertise sur un plan international (les publications nécessaires à la validation d’un doctorat étant le plus souvent faites dans des revues internationales). Un docteur est donc avant tout un expert dans un domaine donné, qui peut être un sujet d’histoire, de physique, de mathématiques ou autre.
Son origine remonte à la création même de l’université au XIe siècle. Son abréviation anglaise : le PhD, signifie Philosophiae Doctor, littéralement docteur en philosophie (à comprendre ici sous sa signification originelle grecque comme « amour de la sagesse/connaissance ») : un expert de la connaissance dans un domaine donné.

Réunion de docteurs au moyen-âge.
Mais c’est la que cela se complique. En fait, il existe plusieurs types de doctorats, dont les deux principaux sont:
- Le doctorat « de recherche »
- Le doctorat « d’exercice »
En fait, ce qui est écrit plus haut sur le docteur comme expert d’un champs donné n’est valable que pour le doctorat de troisième cycle universitaire (PhD). Il existe également des doctorats d’exercices qui témoignent plutôt de l’acquisition d’un savoir faire technique (un métier). Il s’agit là des diplômes d’état de docteur en médecine (MD), en psychologie (PsyD), en pharmacie, ainsi que les vétérinaires et les dentistes.
Notez la subtile nuance: le premier est un « diplôme national de doctorat en … » le second est un « diplôme d’état de docteur en … ». Cette différence a son impact: Pour devenir véritablement chercheur, enseignant-chercheur, maître de conférence, professeur et gravir la hiérarchie universitaire, il faut en général avoir un doctorat de type PhD. Un médecin, un pharmacien qui n’a pas, en plus de son diplôme de docteur, un diplôme national de doctorat ne pourra pas y postuler.
Mais pourquoi docteur est-il surtout employé pour les médecins?
En France, il est très rare de voir des docteurs, à part les docteurs en médecine, recevoir la particule « Dr » et être appelés comme tel. Surtout que, dans la majorité des autres pays (et en particulier le monde anglo-saxon, l’Allemagne, la Scandinavie, …), tout docteur est appelé comme tel dans les contextes formels (d’où l’appellation de Ross Geller de la série Friends). Mais pourtant, comme disent nos voisins d’outre-atlantique, chez le « common folk » (citoyen lambda), un docteur est quasi synonyme de médecin. Comme dirait l’autre, C’est grave docteur ?
Deux raisons peuvent être suggérées: En premier lieu, la bonne compréhension, la connaissance et utilisation de ces titres n’est pas une habileté répandue hors du monde académique. Il est plus courant de se faire donner des conseils par un docteur en médecine que par un docteur en physique quantique. Ensuite, on peut imaginer que nos voisins « anglo-saxons » jouent un rôle dans cette particularité. En effet, la traduction anglaise de médecin est « Physician ». Un mot étrange, qui semble être (du moins acoustiquement) plus en lien avec la physique que la médecine. Alors, pour éviter toute confusion, on peut comprendre que les anglais eurent préféré appeler le médecin par son titre; un « medical doctor » (d’ou l’abréviation MD). Le temps faisant son chemin, il fut abrévié en « doctor ».
Pourtant, même en France, contrairement à certaines rumeurs (répandue en particulier dans les hôpitaux), les docteurs de 3ème cycle ont tout à fait le droit de faire usage de leur titre de docteur. Au contraire même, la cour de cassation a rappelé avec fermeté en 2009 que le titre de docteur appartenait en premier lieu aux titulaires d’un doctorat de troisième cycle universitaire et que la contestation de ce fait pouvait valoir diffamation.
Le Professeur (Pr.)
A ne pas confondre avec le métier d’enseignant, nos chers « profs ».
En effet, les enseignants au collège, lycée, reçoivent un diplôme de professeurs des écoles ou de lycée après un concours sélectif (l’agrégation, pour les enseignants du lycée). Pourtant, ce diplôme ne les autorise légalement pas à user de l’appellation « professeur ».
En effet, de manière internationale, professeur correspond à un titre universitaire de recherche. C’est le titre le plus élevé, qui s’obtient suite à carrière académique reconnue. Notons qu’un professeur peut, d’ailleurs, ne pas enseigner du tout.
En France et dans le monde anglo-saxon, il est coutume de remplacer le titre de docteur par celui de professeur (ce dernier englobant le premier). Pourtant, dans d’autres pays comme l’Allemagne, il est habituel de cumuler les titres devant son nom. On verra ainsi souvent sur la chaîne Arte des historiens répondant au nom de Prof. Dr. Duzponz. Pire encore (d’un point de vue esthétique en tout cas), ils n’hésitent pas à rajouter d’autres titres, comme celui d’ingénieur.
Et oui, les Allemands ne badinent pas avec les titres. Pourtant les américains font de même, en entassant cette fois-ci les diplômes obtenus à la fin du nom de famille. Bonjour Thomas Dupont, PhD, MA, MSc, BSc.
Par contre, écrire Dr Thomas Dupont, PhD est une erreur et reviendrais à une sorte de pléonasme.
Complexe, cette histoire de titre…
Merci pour cette article. Encore scandaleux que certains médecins se considèrent comme les seuls véritables docteurs et vous rient au nez lorsque vous leur expliquez que vous êtes vous aussi docteur, alors qu’ils n’ont même pas de véritable doctorat…
Fort est le monopole des médecins sur le titre de docteur ! Cet article devrait tourner à l’école dès le collège ;-).
Merci.